Corneille Nangaa se lance dans la course à la présidentielle. Proche de Joseph Kabila autant que de Félix Tshisekedi, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) franchit le Rubicon et entre en politique.

Les raisons de ses motivations sont contenues dans une exclusivité qu’il a accordée à Jeune Afrique dont boyomainfo publie l’intégralité.

On savait déjà qu’il en avait la tentation, mais désormais il a franchi le pas : à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) lors des dernières élections organisées fin 2018, Corneille Nangaa se lance en politique et annonce à son tour sa candidature à la magistrature suprême.

Depuis la fin de son mandat, et même si son remplacement à la tête de la commission électorale à été long et laborieux, le chef d’orchestre des derniers scrutins s’était fait plutôt discret, se consacrant notamment à ses investissements dans le secteur agricole.

Toujours sous sanctions de l’administration américaine, qui l’accuse de corruption et d’entrave au processus démocratique, Corneille Nangaa se montre très critique vis-à-vis du processus électoral en cours et se dit convaincu d’avoir une carte à jouer dans la perspective de la prochaine présidentielle.

Jeune Afrique : N’est-il pas étonnant que vous vous lanciez en politique alors que, lors du dernier scrutin présidentiel, vous dirigiez la commission électorale ?

Corneille Nangaa : Les élections de 2018 auront été celles qui ont permis la toute première alternance pacifique au sommet de l’État, sans crépitement de balles. Nous avons en RDC un ancien président, qui peut vivre librement dans son pays, et un nouveau, qui lui est en charge de la conduite de l’État.

Il ne sert à rien de dire sans cesse que ces élections ont été controversées.
C’est dangereux et cela ne veut rien dire. La controverse est une denrée ordinaire, qui nourrit la polémique autour des résultats de toute compétition électorale.
Même aux États-Unis, les résultats des élections font l’objet de controverse.

Jeune Afrique : Est-il juste de dire que vous êtes à la fois proche de Joseph Kabila et de Félix Tshisekedi ?

Corneille Nangaa : Oui. Cette proximité procède des rapports institutionnels que j’ai eu le privilège d’entretenir avec l’un et l’autre en ma qualité de président de la commission électorale.

Grâce à Dieu, j’étais aux premières loges lors de cette alternance. Un accord politique a été conclu et je demeure convaincu qu’il ne faut pas le jeter dans les poubelles de l’histoire, parce qu’il a sauvé la République d’un possible bain de sang.

Jeune Afrique : Est-ce là qu’est née votre ambition ?

Corneille Nangaa : Mon engagement est un choix légitime, qui découle d’un diagnostic posé sur des sujets qui touchent à l’avenir de la République. J’ai vocation à la servir, en quelque domaine que ce soit. Et je m’interdis de sombrer dans une passivité coupable.

Jeune Afrique : Joseph Kabila ou Félix Tshisekedi ont-ils, d’une manière ou d’une autre, pesé dans votre décision de vous lancer en politique ?

Corneille Nangaa : Non. Ma décision n’a été influencée ni par l’un ni par l’autre.

Jeune Afrique : Vous diriez-vous proche de l’opposition ou de la majorité ?

Corneille Nangaa : Qu’est-ce que cela signifie dans ce pays ? En RDC, les alliances politiques ne sont pas dictées par l’idéologie, mais par la poursuite d’intérêts opportunistes. D’ailleurs, ceux qui, hier, chantaient les louanges de Joseph Kabila sont les mêmes qui, aujourd’hui, font l’apologie de son successeur.

Pour ma part, je ne suis ni du côté de l’Union sacrée [majorité] ni de celui du FCC [Front commun pour le Congo, de Joseph Kabila] : je suis en train de créer une alternative. Fort du diagnostic que j’ai posé, je lance un nouveau parti baptisé Action pour la dignité du Congo et de son peuple : l’ADCP. Et j’expliquerai aux Congolais, dès le 25 février, quelle sera sa proposition politique.

Jeune Afrique : La loi ne vous empêche-t-elle pas, en tant qu’ancien patron de la Ceni, de vous présenter à une élection présidentielle ?

Corneille Nangaa : Tout Congolais a le droit de concourir à tous les scrutins, et ce conformément à la loi. Moi, Corneille Nangaa, je suis assurément congolais et je serais curieux de savoir quel texte dispose clairement de ce que peuvent ou ne peuvent pas faire les anciens présidents de la Ceni.

Jeune Afrique : Pour revenir à la dernière élection présidentielle, une partie de l’opinion vous demande quand même encore des comptes quant aux irrégularités qui ont été signalées à l’époque…

Corneille Nangaa : Comme vous le dites, ça n’est qu’une partie de l’opinion. La majorité des Congolais sont désormais tournés vers les élections à venir et ils ont raison. Compte tenu de mon expérience, je peux vous dire que les élections sont toujours sources de conflit, parce qu’elles sont organisées autour de compétiteurs passionnés.
Mais le cadre légal est là pour empêcher tout dérapage, de la Constitution aux textes réglementaires.

Tout le processus est extrêmement encadré, jusqu’à l’annonce des résultats et à la gestion des contentieux.
Si irrégularités ou tricheries il y a, ce sont les tribunaux qui doivent se prononcer. Mais il n’appartient ni à la Ceni ni aux médias d’épiloguer.

Les résultats des élections de 2018 ont été confirmés par la Cour constitutionnelle en ce qui concerne les scrutins présidentiel et législatif, et par les différentes cours d’appel en ce qui concerne les législatives provinciales.

Jeune Afrique : Comment faire pour que le processus de 2023 soit meilleur que celui de 2018 ?

Corneille Nangaa : Nous sommes à dix mois de la date supposée des élections. Le calendrier électoral a été publié et il est en cours d’exécution. Que les élections de 2023 soient meilleures que celles de 2018, c’est notre souhait à tous. Cependant, ne sous-estimons pas les contraintes politiques, techniques, logistiques et surtout sécuritaires : ce sont autant de défis à relever. Tout cela, ajouté à la méfiance entre les acteurs et à celle dont ceux-ci manifestent à l’égard de la Ceni n’incite toutefois pas à l’optimisme.

Jeune Afrique : Ne sommes-nous pas sur la bonne voie ?

Corneille Nangaa : Bien sûr que non. Il va nous falloir consentir de gros efforts pour relever les défis que je viens d’énoncer. Comment, par exemple, s’assurer de l’exhaustivité de l’enrôlement des électeurs dans des zones non sécurisées et avec un nombre important des déplacés ?
Je pense bien sûr au Nord-Kivu et à l’Ituri. Comment remédier à cette défiance que j’évoquais ? Comment avancer quand certains affirment ne pas se reconnaître dans la composition actuelle de la Ceni et ne pas se fier à la Cour constitutionnelle ?

Jeune Afrique : Votre candidature est-elle définitive ou êtes-vous ouvert à l’idée de nouer des alliances ?

Corneille Nangaa : Comme je vous l’ai dit, la question de validation d’une candidature obéit à un protocole précis. Une candidature à la présidentielle en RDC n’est définitive que lorsqu’elle est confirmée par la Cour constitutionnelle.

Pour le reste, il est vrai que nombreux sont ceux qui me poussent à briguer la magistrature suprême. Mais vous savez aussi que des alliances sont indispensables pour gagner les élections en RDC.

Jeune Afrique : Comment qualifieriez-vous les relations que vous entretenez aujourd’hui avec Joseph Kabila ?

Corneille Nangaa : Elles sont bonnes. Nous partageons une même passion pour le travail de la terre.

Rédaction

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