DC, Tshopo, territoire d’Isangi.
A califourchon sur le fleuve Congo, le paysage de Yangambi est très connu pour la Réserve de Biosphère de Yangambi, 25 milles hectares de forêts, située dans la cité de même nom, en aval du fleuve Congo, à cent kilomètres de Kisangani.
Depuis dix ans, des organisations environnementales y affluent pour lutter contre la déforestation.
Des projets aussi longs que courts destinées aux activités économiques paysannes afin de réduire leur dépendance des forêts.
Dans la foulée, on a vu arriver une suite d’organisations caractérisées par la méthode et la vision à très long terme.
Avec le soutien du Rainforest Journalism Fund (RJF) en partenariat avec Pulitzer Center, les reporters Orphée Fundi et Jean Fundi Kiparamoto, armés de stylographe, dictaphone et caméra, prennent le chemin de Yangambi, l’El Dorado. Les taxis motos arrivent au soir au Beach de Yangambi. Au parking, tout le monde connaît le camp Base Vie où ils comptent beaucoup de clients. Le camp se trouve derrière le couvent Marie de l’Assomption. Le terrain avait offert depuis 2017 par des prêtres catholiques. À présent, c’est des bureaux et des maisons préfabriqués sous l’ombrage de 5 ha regarnis d’arbres, où vivent les travailleurs de CIFOR-ICRAF et RSD : des forestiers, mécaniciens, nettoyeurs, cuisiniers, électriciens, logisticiens, sensibilisateurs, conducteurs d’engins.
A partir de Yangambi, les reporters doivent couvrir le village de Yaoseko, plus au sud-est de Yangambi, à 32 km de Kisangani, où travaille Tropenbos RDC ; Yanonge et la cité d’Isangi et alentours, où avaient opéré OCEAN et PRAPO, et où opèrent également Jadora-Isangi REDD+, CIFOR et Enabel.
C’est respectivement à 62 km et 100 km de Kisangani. Voici la première partie de ce reportage multimédia.
L’agroforesterie autrement
Un matin de juin 2022, Mustafa, le sensibilisateur agro écologiste, conduit les reporters au rendez-vous d’un champ qui se trouve au bord de la route principale de la cité de Yangambi, la cité elle-même se trouvant dans le paysage du même nom.
Les visiteurs suivent les pas de Carine, la trentaine, et Catherine, la quarantaine, toutes agricultrices de longue date.
Après avoir emprunté un dédale des sentiers emprisonnés par la broussaille, on débouche sur un champ de plantes vivrières associées aux acacias hauts d’à peu près deux mètres et demi.
La sensibilisation avait peiné à convaincre.
D’après les incrédules, l’agriculture sans brûlis était vouée à l’échec. Ils s’en allèrent abandonnant la terre et prophétisant le malheur.
Comme beaucoup d’autres personnes, les jeunes agricultrices sont restées pour tenter le coup.
Des mois après, les acacias et les cultures vivrières poussent à merveille sur des vieilles jachères maudites.
De quoi faire revenir les déserteurs. Tandis Carine sarcle, Catherine, agricultrice depuis 15 ans, explique :
« Mon champ s’étend sur 1,5 ha. C’est ma toute première fois de planter les acacias et le manioc au même endroit sans bruler quoi que ce soit. Depuis, on plante le manioc, les arachides, les patates douces. On a observé que ça pousse en bonne santé… Ils viennent nous réclamer des champs d’acacias qu’ils ont abandonnés. Je leurs réponds que ça m’appartient ».
Quelques heures après, Mustafa conduit les reporters au bord d’une route secondaire pour voir un autre champ de manioc associé aux acacias à hauteur des genoux. Le mari de l’agricultrice absente acquiesce à chaque mot des explications données par Mustafa. Carine et Catherine font partie des dizaines de personnes convaincues sur les champs de qui la coupe en blanc précède les champs agro forestiers.
Cette technique est pratiquée par FORETS et Tropenbos RDC. Elle consiste à la reprise des jachères avec l’aide des forestiers et des moniteurs agricoles. Le reboisement suit des étapes scientifiquement validées et examinés au laboratoire de biologie de bois.
Le choix est tombé sur les plants et semences améliorées à croissance rapide. Chercheur et forestier en chef de CIFOR, Principe Alowakinnou s’occupe des plantations forestières et agro forestières dans la RBY. Il.
S’il recourt à plusieurs espèces d’arbres, l’acacia apportée des pays lointains reste la plus utilisée, car elle va contribuer d’ici peu à la production du bois de chauffe, du makala (charbon de bois en langue locale) et à l’alimentation de la centrale électrique, qui est en pleine construction au bord du fleuve Congo. Principe affirme avoir dépassé les prévisions :
« Je dois vous dire que le projet a pour objectif de planter 600 ha par an.
De 2017 à décembre 2022, le projet doit planter environ 2000 ha. Et actuellement, nous sommes déjà à 1875 ha. Ça nous reste encore une saison. Donc, je peux déjà vous confirmer que nous avons déjà dépassé l’objectif. C’est une victoire pour le projet, pour nos plantations installées dans le paysage de Yangambi. »
Grâce aux organisations environnementales, des milliers de gens ont trouvé du travail à temps plein ou partiel. Avec ses forestiers et près de 2 milles congolais par an, pour la plupart autochtones, l’organisation environnementale CIFOR a replanté 2 millions 500 milles arbres, plus que quiconque ces soixante dernières années.
D’après Paolo Cerutti, forestier en chef CIFOR-ICRAF, il faut planter autrement et davantage vu que la RDC a encore perdu un demi-million d’hectares de forêts en 2021.
Principe souligne la différence entre plantation tout court et ce qu’il entreprend à présent :
« Les plantations du Yangambi ne sont pas de plantations industrielles. Les plantations qu’il supervise ont pour but de remplacer l’agriculture itinérante sur brûlis par l’agroforesterie sur des jachères, qui ont grignoté des pans considérables de forêts ou d’anciens vergers, palmeraies, caféiers ou hévéa. »
L’acacia fertilise le sol. Ce qui profite aux paysans, car le rendement agricole doit être meilleur que dans la pratique traditionnelle.
Le système agro forestier doit séquestrer plus de carbone. Comparé à l’agriculture itinérante sur brûlis, l’agro foresterie est économiquement viable.
Le responsable de la ferme pilote soutient que celle-ci s’affirme comme un paravent efficace contre le déboisement ici comme sous d’autres cieux.
« Quand par exemple tu réunis le bénéfice agricole, écologique et économique de l’agroforesterie.
En ce moment-là, c’est une technique qui peut être facilement adoptée par la communauté ».
Ici, la pépinière de la vallée d’Isalowe à Yangambi, 100 km de Kisangani. Il y en deux dans la cité et une à Yanonge. Tropenbos RDC en compte une à Yaoseko, 32 km de Kisangani.
Les travaux de plantation démarrent par les pépinières à travers une bonne planification.
Une fois la superficie à reboiser est déterminée commencent les travaux de pépinières de manière à ce que les plantules réalisent 2 mois et demis avant d’être transplantés.
Le village de Yaoseko vit une expérience presque similaire dans le cadre du projet PIREDD Orientale.
Reposant sur cinq piliers, ce projet porte essentiellement sur la lutte contre la coupe sauvage du bois dans 12 secteurs et 61 villages en initiant les habitants aux nouvelles activités économiques.
Cédric Ulyel, assistant technique à Tropenbos RDC, travaille dans le pilier agriculture. Il explique l’importance de promouvoir, d’une part, la culture des plantes pérennes et, d’autre part, la culture du riz Nerica, qui fait murit en trois contre six mois pour la semence locale dite Kitombe en langue du milieu.
A la monoculture du traditionnel palmier à huile, le projet le cacao dont il initie l’ensemencement sous les ombrages des palmiers.
D’après Cédric, le cacaoyer a besoin de l’ombrage pour bien croître. Plus il grandit, plus il a besoin de soleil. Quitte à éliminer les palmiers au fur et à mesure. L’assistant est entouré des autochtones, membres du CLC (Comité Locale de Consultation). Ils sont toutes oreilles.
Étant né et ayant grandi à Yaoseko, Modeste Baruti, vice-président du CLC de Yaoseko témoigne d’un début difficile :
« Le cacao, c’est une découverte dans notre village. Après, on se demandait que faire de ce qu’on ne mange pas ici, vendre à quel prix. Les images et les ateliers de formation à Kisangani nous ont convaincus ».
Lors des sensibilisations et formations, le projet a trouvé les mots justes pour redonner de l’espoir à un village sans hôpital, sans école, sans commerce, où la vie est essentiellement faite de l’agriculture itinérante sur brûlis et de la vente de charbon de bois.
« L’avantage avec le cacao, ce que vous plantez une seule fois et ça a la capacité de produire pendant plusieurs années voire cinquante, soixante ans.
Donc, c’est une valeur sûre, non seulement pour vous, mais aussi pour les générations futures. »
Avec l’aide du projet, Modeste a repris une palmeraie abandonnée par ses parents.
Il se dit confiant :
« Nous avons exigé de Tropenbos l’encadrement jusqu’à la commercialisation de notre cacao ».
Derrière Modeste, un paysan, la septantaine, lève le doigt pour demander la parole, on tourne la caméra vers lui :
« Je m’appelle Roger. Si des vieilles personnes comme moi croient à l’assistant, c’est parce qu’il a quitté sa famille en ville pour dormir, manger et travailler avec nous ».
Dans le passé, témoignent des paysans, les organisations venaient pour les former et repartaient aussitôt après les avoir payés.
Le village compte une trentaine de maisons en pisés et terre battue, à part un ou deux dispensaires et deux maisons de particuliers en briques cuites et tôles.
De là aux limites de la Réserve de Biosphère de Yangambi, on peut compter du coin de l’œil plus de 250 parcelles où se trouvaient des sacs de charbon de bois.
Les charbonniers pour la plupart des jeunes les charrient par le fleuve jusqu’aux gués de Kisangani d’où des revendeurs et des familles s’approvisionnent.
Un sac de makala coûte entre 12$ et 14$.
Dans le temps, le sac coûtait entre 10$ et 12$. La demande ne va pas faiblir de sitôt.
Les longues pannes fréquentes du barrage hydroélectrique augmentent la demande en charbon. Face à cette situation, Cédric compte sur les résultats des cultures pérennes.
« Ils abandonneront eux-mêmes le charbon de bois en voyant un des leurs s’acheter une moto en un temps record. »
Et Modeste de renchérir :
« Avec une bagatelle de 1000 dollars par an, on va abandonner le travail très laborieux du charbon de bois. »
L’art d’élever les abeilles sous les acacias
« L’expérimentation d’un autre type de ruches avait échoué. Les abeilles avaient bel et bien colonisé les ruches. Elles désertaient aussitôt. Avec les 120 ruches kenyanes distribuées aux apiculteurs, le succès est assuré.
Aujourd’hui sans appât, les abeilles colonisent les ruches sans devoir repartir ».
Arrivé du Bénin natal, Principe avait pensé à l’apiculture comme l’une des activités génératrices de revenus.
Dans la cité de Yangambi, il s’occupe aussi de l’apprentissage de l’apiculture et la production du miel sous les acacias mellifères : les abeilles en butinent les fleurs pour stocker le miel.
Le projet fit venir un consultant de l’extérieur pour l’étude de faisabilité.
Il s’est ensuivi le recyclage d’une cinquantaine d’apiculteurs, triés parmi les collecteurs de miel sauvage à raison de moitié à Yangambi et moitié à Yanonge.
Dotés matériel apicole, ces apiculteurs ont installé à leur compte des ruches sous les acacias mellifères.
Au mois de mars 2022, les apiculteurs venaient d’être formés sur les bonnes pratiques de récolte et de conditionnement du miel.
En avril de la même année, la première récolte expérimentale sur sept ruches donne 53 kg de miel, qui est vendu à 10$ le kilo.
Aujourd’hui, comme jamais auparavant, du miel estampillé se vend à Yangambi et à Kisangani en fiole de 300g à 3$ et de 1 kg à 10$.
La commercialisation est assurée par le projet.
Avec l’accompagnement d’un juriste engagé par le projet, les apiculteurs sont organisés en Association des producteurs de miel de Yangambi et Association des apiculteurs pour le développement de Yanonge.
Ainsi à long terme, le projet espère voir la chaîne de production et les paysans incarner leur propre modèle en produisant davantage de miel et nouant un partenariat avec des PME locales. Avec du miel bien conditionné, on ne peut que gagner le pari.
Principie Alowakinnou, responsable de la filière apicole, y croit dur comme fer comme cela transparaît dans son discours d’inauguration d’une miellerie le 27 octobre 2022 à Yangambi:
« Selon le rapport de l’étude de base de la filière miel dans les provinces de bas Congo et de Kinshasa réalisé en 2009, il ressort une certaine méfiance des consommateurs, particulièrement les populations exogènes qui exprimeraient leurs préférences un miel extérieur parce que bénéficiant de la présomption d’être conditionné dans les meilleures conditions, avec un meilleur contrôle de qualité sur toute la chaîne. »
Voilà, qu’on peut domestiquer les abeilles. La récolte du miel n’est plus un privilège hérité des ancêtres.
Taty Bwela est un collecteur de miel sauvage dans les forêts d’Isangi, dans la collectivité de Liutwa-Kombe, 25 km à l’ouest de Yangambi en aval du fleuve Congo.
Sa famille avait hérité des arbres à abeilles en pleine forêt. Visage à découvert et à mains nues, les collecteurs du village attendent la tombée de la nuit pour enfumer les colonies d’abeilles. Il arrive que les abeilles soient brûlées. C’est le pire, note Principe.
Parce qu’en procédant ainsi, les collecteurs sauvages brûlent la biodiversité par ignorance du rôle pollinisateur des abeilles.